Le règne de Hammouda Pacha a duré 37 ans, 1777-1782 et 1782-1814. C’est qu’en 1777, il fut proclamé bey régent du vivant de son père Ali, devenu maladif et alité durant plus de 5 ans. Les membres de la cour, ses sujets et les tribus lui avaient renouvelé le serment d’allégeance en tant que bey du trône le 31 mai 1782.
L’intronisation de Hammouda Pacha en tant que 5e bey de la dynastie était entachée d’irrégularité. En effet, d’après le décret-loi énoncé par son grand-père Houssine, la priorité du trône revient au prince le plus âgé de sa propre descendance.
Le droit au trône d’après la règle successorale revenait inéluctablement à Mahmoud, son cousin et fils de Mohamed Errachid qui était plus âgé que lui. En effet, Mahmoud est né le 9 juillet 1757, alors que Hammouda était natif du 9 décembre 1759.
Nonobstant la fameuse règle du respect de la priorité de l’âge, Ali bey, le père de Hammouda, avait montré des signes de penchant envers son fils Hammouda qu’il avait rapproché du pouvoir au détriment de son neveu Mahmoud, et ce, durant tout son règne (de 1759 à 1782).
En l’absence du bey régnant (Ali) devenu âgé et maladif, c’était Hammouda qui le remplaçait au trône, assurant de temps en temps l’intérim de son père pour la gouvernance de la régence.
Cette situation avait perduré environ 5 ans, période durant laquelle les membres de la cour (El Hachia) et les gouvernés avaient tissé de bons liens avec le futur bey.
Pour eux, Hammouda était bel et bien l’héritier du trône et le beylicat lui revenait de droit.
Le bey reconnaissant
L’historien Ahmed Ibn Abi Dhiaf précise que Hammouda Pacha était conscient et reconnaissait l’erreur de son père, qui au cours des ans l’avait sciemment rapproché du pouvoir au détriment de son cousin. Et, à titre de reconnaissance, Hammouda s’était lié d’amitié avec son cousin Mahmoud en le couvrant de sympathie et de bienveillance. Il le consultait à chaque décision importante relevant de la politique et du social du royaume. Sur le plan familial, Mahmoud était son gendre.
Le bey patriotique
Hammouda Pacha était un bey patriotique qui servait bien ses sujets et répondait favorablement à leurs doléances.
Dès son jeune âge, il avait acquis les bons réflexes d’un grand politicien. Il menait bien sa barque. Durant de longues années, il avait su gérer avec adresse le conflit avec le voisin algérien avec la sagesse et le savoir-faire des rois…
La grande épidémie
Une grande épidémie avait touché le royaume en 1783. Plusieurs dignitaires et notables de Tunis avaient été terrassés par la maladie ainsi que des centaines de citoyens.
Dès le début de l’épidémie et l’apparition des premiers symptômes, ce bey n’avait pas tardé à prendre des décisions importantes concernant l’application des règles préventives et d’hygiène afin de limiter les dégâts. Il avait ainsi ordonné de brûler les vêtements des morts afin d’éradiquer la contagion.
Il avait aussi ordonné la mise en quarantaine des malades dans des hangars à El Kalaline… soit une série de mesures relevant de la protection de ses sujets (Erraîa).
Tentative d’assassinat du bey
Le 10 février 1792, ce bey avait failli être assassiné par trois esclaves de sa garde qui s’étaient introduits illicitement dans sa chambre pour l’étrangler, n’eût été l’intervention rapide de son grand vizir Saheb Ettabaä qui répondit urgemment aux cris de détresse du souverain. La tentative d’assassinat vira à l’échec.
Pour l’histoire, Ibn Abi Dhiaf précise que ces esclaves de garde se plaignaient de la méchanceté et de l’intransigeance de leur maître (le bey Hammouda) à leur égard; il leur interdisait de parler en arabe et s’adressait à eux en langue turque afin de ne pas perdre sa langue d’origine, de même, il n’hésitait pas à les corriger, les ridiculiser et les humilier à la moindre gaffe. Le bey fut sauvé in extremis, ses trois comploteurs ont été fusillés.
La mort de son fils Mohamed
Au cours du mois du juin 1800, ce sultan a connu une grosse déprime qui l’avait complètement terrassé. En effet, le 18 juin 1800, décéda son fils Mohamed âgé à peine de 9 ans.
Ne pouvant supporter ce choc fatal, Hammouda Pacha s’était enfermé dans sa chambre durant des journées entières, il s’abstenait même de manger et de communiquer avec les dignitaires de la cour et ses sujets, lui, qui d’habitude vouait une grande sympathie à ses proches.
Pour faire sortir le bey de cette torpeur, Youssef Saheb Ettabaâ, le grand vizir, fut obligé de lui envoyer le grand uléma de l’époque, le Cheïkh Salah El Khaouèche, afin de le secouer et lui conseiller d’accepter stoïquement la volonté de Dieu le Tout-Puissant et qu’on ne peut rien devant la volonté divine… Ainsi, le bey a été ramené à la raison pour reprendre ses activités…
Un bey austère
Hammouda Pacha était connu aussi pour son austérité. Il était consciencieux et n’aimait pas les grandes dépenses. Il gérait avec grande responsabilité les finances de l’Etat et luttait contre toute forme de gaspillage.
Il disait souvent que l’argent ne lui appartient pas et qu’il avait la responsabilité de diriger un Etat : tout ce qu’il dépense émane uniquement des besoins des finances publiques et qu’il est absolument faux de le comparer aux richards !! Il entrait souvent en conflit avec les princes (frères et cousins de la famille husseïnite) pour qu’ils ne chôment pas et de tendre la main pour recevoir les cadeaux et autres allocations non méritées. Il les incitait à travailler dans le secteur commercial ou agricole afin de gagner leur vie à la sueur de leur front…
Une fin énigmatique
Malheureusement, ce bey rigoureux avait connu une fin pour le moins mystérieuse; il mourut subitement la veille de l’aïd El fitr, un certain 30 Ramadan 1229 (C.H) soit le 15 septembre 1814 (C.G), alors qu’il veillait tranquillement au palais du Bardo avec les siens, tout en dégustant son café. A-t-il été assassiné ?
(à suivre)
Source : «Ithaf Ahl al-Zaman» d’Ibn Abi Dhiaf